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L'exposition « Façonner l'histoire de la Normandie. Manuscrits et chartes médiévales », présentée du 25 juin au 29 septembre 2019 dans la salle du Trésor du Scriptorial d'Avranches, illustre, au moyen d'un exemple concret et éclairant, la manière dont l'identité d'une région ou d'une nation se construit à partir d'un récit fondateur commun, parfois mythique, puis s'enrichit par l'adjonction d'une succession de strates rédactionnelles : additions, suppressions, continuations, corrections, inflexions, réécriture, compilation, traduction, etc. Elle montre comment s’est forgée l’histoire de la Normandie à partir des textes rédigés par plusieurs générations d'historiens au cours des XIe et XIIe siècles.
Une vingtaine de documents exceptionnels, majoritairement autographes, sont ainsi réunis pour la première fois et servent de support à cette enquête historiographique. Il s'agit de manuscrits et de chartes aujourd’hui dispersés dans des lieux de conservation éloignés. Réalisée avec le concours exceptionnel de la Bibliothèque nationale de France et avec la participation de la Staatsbibliothek de Berlin, des bibliothèques municipales de Bayeux, de Dijon et de Rouen ainsi que des archives départementales de la Seine-Maritime, l’exposition sert aussi de toile de fond au colloque international de Cerisy « Maîtriser le temps et façonner l'histoire. Les historiens normands aux époques médiévale et moderne », qui sera organisé à Cerisy-la-Salle et à Avranches du 25 au 29 septembre 2019.
Les documents choisis visent à replacer les historiens dans leur contexte de création. Aux côtés des manuscrits autographes de leurs œuvres historiques – ou, à défaut, de copies anciennes de celles-ci – sont présentés des outils et des chartes qui témoignent de leur activité d’auteur, mais aussi des diverses fonctions qu’ils ont exercées.
Les auteurs médiévaux qui ont travaillé sur l'histoire des ducs de Normandie (Historia normannorum et Gesta normannorum ducum) sont exclusivement des religieux, qu'il s'agisse de chanoines (Dudon de Saint-Quentin, Wace et Benoît de Sainte-Maure) ou de moines bénédictins (Guillaume de Jumièges, Orderic Vital, Robert de Torigni). Nous retrouvons des profils identiques chez les auteurs extérieurs à la Normandie ayant traité plus ponctuellement de l'histoire du duché. Adémar de Chabannes, Raoul Glaber, le chroniqueur anonyme de Saint-Bénigne de Dijon et Hugues de Flavigny sont en effet quatre moines bénédictins actifs aux XIe et XIIe siècles. La matière historiographique médiévale provient donc essentiellement d'institutions religieuses, qui concentrent les personnes aptes à lire et à écrire et qui forment les lettrés et les érudits du Moyen Âge.
Afin de maîtriser le temps et de se repérer sur une échelle chronologique linéaire, débutant à la naissance du Christ (année de l'incarnation), ces auteurs ont été formés jeunes au comput, et en particulier au comput pascal, discipline leur permettant de calculer les fêtes mobiles chrétiennes, dont celle de Pâques. Plusieurs d'entre eux sont connus pour avoir enrichi d'annotations les marges des tables pascales en usage dans leur maison. L'historiographie moderne désigne ces notes marginales sous le nom d'annales pascales. Ainsi Orderic Vital à Saint-Évroult, Robert de Torigni au Mont Saint-Michel, Adémar de Chabannes à Saint-Martial de Limoges et Hugues de Flavigny à Saint-Bénigne de Dijon ont contribué à l'enrichissement des annales pascales de leur communauté monastique.
Cette démarche leur permettait de créer des événements repères destinés à établir des synchronismes entre les différents systèmes de datation alors en usage. Ces tables pascales annotées doivent donc être perçues comme des tables de concordance/correspondance. Ces mêmes auteurs se sont servis de ces annales pascales comme outils et comme sources lors de la composition de différents travaux historiques, principalement des chroniques.
Cette maîtrise du comput était aussi indispensable aux secrétaires, aux notaires et aux chanceliers, amenés à mentionner des dates dans les documents de la pratique qu'ils ont produit : lettres, chartes, documents d'administration courante. Plusieurs de nos historiens sont d'ailleurs connus pour avoir exercé ce type de fonction, soit auprès des ducs, comme c'est le cas pour Dudon de Saint-Quentin, soit dans leur établissement de rattachement, comme Guillaume à Jumièges et Hugues de Flavigny à Saint-Bénigne de Dijon. Les additions réalisées par ou à la demande de Robert de Torigni dans le Cartulaire du Mont Saint-Michel révèlent également le recours de cet historien au comput pour la gestion et l'administration des archives de son monastère.
Par une approche comparative, on observe ainsi des similitudes dans les origines et les fonctions des historiens ayant traité d'histoire normande, ainsi que dans les outils et les sources exploités pour la composition de leurs œuvres. Ces informations sont essentielles pour mieux saisir le travail des historiens ainsi que le processus créatif mis en œuvre.